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Stéganographie

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Littérature

Poe

Verne

Conan-Doyle

Transpositions

Subs. monoα

Subs. polyα 1 - 2

One-time pad

DES 1 - 2

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Knapsack

Diffie-Hellman

RSA 1 - 2

Grands noms

Références


Des auteurs à l'esprit scientifique aussi accentué ne pouvaient manquer de confronter leurs héros à la cryptographie !

The Gold Bug - E. A. Poe

Voilà bien le cryptogramme le plus célèbre de la littérature !

Poe était féru de cryptographie. En 1843, il écrit Le Scarabée d'Or. Cette nouvelle, située dans un contexte exotique de pirates et de trésors, est placée sous le sceau de la cryptographie. Stéganographie d'abord, puisque le héros (W. Legrand) doit utiliser la chaleur pour révéler le code écrit en encre sympathique par le capitaine Kidd. L'enjeu du déchiffrage n'est pas moins que le trésor du pirate ! Le chiffre totalise 88 caractères -- c'est très peu ! -- de natures variées : numériques, ponctuation, divers (*, ¶, †, ‡).

Poe, par l'intermédiaire de Legrand, affiche alors ses talents de cryptanalyste. Il commence par supposer que la langue du texte est l'anglais (qui seul peut expliquer le jeu de mots Kidd / kid (chevreau) signant le message de manière imagée). Legrand se livre ensuite à une analyse des fréquences en règles, dressant l'inventaire de toutes les occurrences des caractères. Il connaît l'ordre des fréquences des lettres en anglais [1]. Mais il avoue ne s'en servir que "très médiocrement", se contentant d'identifier le caractère le plus fréquent du chiffre (8, 33 occurrences) à la lettre e : "E prédomine si singulièrement qu'il est très rare de trouver une phrase d'une certaine longueur dont il ne soit pas le caractère principal". On ne saurait mieux dire ! À l'appui de cette identification [8 e], Legrand observe de nombreux "8" redoublés, censés correspondre au bigramme "ee", fréquent en anglais.
Puis, il délaisse l'analyse des fréquences, un choix fort raisonnable vu la brièveté du texte. Il se tourne alors vers la technique du mot probable : le mot le plus fréquent en anglais est "the". Legrand constate que la séquence ;48 se répète sept fois et en conclut : [; t], [4 h]. Des considérations linguistiques permettent de poursuivre : la succession partiellement déchiffrée t␣eeth permet d'identifier le mot tree d'où [( r]. Les mots identifiés ensuite sont through, thirteenth...

L'analyse complète de Legrand, fort convaincante, montre que Poe n'en était pas à son coup d'essai [2]. Dans un contexte plus moderne, elle n'aurait cependant pas suffi : son postulat implicite étant la correspondance permanente entre les caractères du chiffre et du clair. Comme l'a joliment fait remarquer F. L. Bauer : Poe was monoalphabetically minded !

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Voyage au centre de la Terre - J. Verne

Écrit en 1864, Voyage au centre de la Terre conte les aventures, censées se dérouler un an plus tôt, du Professeur Otto Lidenbrock et de son neveu Axel. D'un vieil ouvrage islandais manuscrit du XIIème siècle, détenu par le Professeur, s'échappe un parchemin portant un texte chiffré. Les caractères runiques, au nombre de 144, sont agencés en 3 tableaux de 7×7, le dernier étant incomplet :

Le Professeur se lance avec enthousiasme dans le "déchiffrage", mollement secondé par son neveu. Les étapes qui s'ensuivent montrent bien la faiblesse du cryptage (et du déchiffrage). Le Professeur commence par un postulat, qui s'avèrera correct : une correspondance entre les runes et les caractères latins. (Il "devine" également que le latin est la langue du message.) L'établissement de cette correspondance est grandement facilité par la découverte fortuite de la signature dissimulée de l'auteur du code, Arne Saknussem ! Lidenbrock n'envisage qu'un "brouillage", càd une simple transposition : "Il me paraît certain que la phrase primitive a été écrite régulièrement, puis retournée suivant une loi qu'il faut découvrir". Le cryptogramme est ainsi une anagramme du texte clair. La "résolution" est pour le moins aléatoire : les lettres doivent être groupées "par 5 ou 6"... Mais cela ne suffit pas ; une dernière étape est nécessaire : lire le texte à l'envers. Là encore, le hasard sert bien les héros : Axel s'évente en tenant la feuille devant un miroir, ce qui lui donne la solution ! Le texte une fois déchiffré contient une révélation qui constitue le point de départ de toute l'aventure.

On peut donc considérer cet amusant exercice comme secondaire aux yeux de l'auteur. Il n'est là que pour pimenter une intrigue par ailleurs fournie. Accordons à J. Verne le crédit d'être meilleur cryptanalyste que ses propres protagonistes, bien "amateurs" !...

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The Dancing Men (les hommes dansants) - A. Conan Doyle

Les hommes dansants paraît en 1903 sous la plume de Sir Arthur, qui ne pouvait manquer de confronter son héros le plus célèbre à un problème de cryptographie. Il prend chez Conan Doyle une forme très originale, naïve, telle des dessins d'enfants. La stéganographie n'est pas loin, mais Holmes ne sera pas dupe. Si le message ci-dessous lui est présenté en premier par son client Hilton Cubitt, ce n'est pas le plus ancien :

Il fait partie d'une série de chiffres très courts puisque le nombre de caractères varie de 5 à 24. Est-ce suffisant pour une analyse des fréquences ? Holmes répond par l'affirmative, au moins pour l'identification de la lettre la plus fréquente (e) : "... sa prédominance est telle que même dans une phrase courte on la trouve généralement" [3]. Holmes continue par une tirade sur les fréquences des lettres  [4] et conclut qu'il ne serait pas raisonnable de pousser l'analyse plus avant dans cette direction. Le bonhomme le plus fréquemment rencontré est parfois porteur d'un drapeau, parfois non. Holmes ne s'en inquiète pas et décrète que les drapeaux marquent la fin des mots : une hypothèse fructueuse qui s'avère un puissant levier de déchiffrage [5]. Comme chez Poe-Legrand, des considérations linguistiques prennent le relais. Le mot partiellement déchiffré ␣e␣e ne peut être que never, lever ou sever. Holmes opte pour la première alternative d'après le contexte. Un autre mot probable est e␣␣␣e mis pour Elsie, le prénom de la femme d'H. Cubitt. Holmes identifiera ensuite ␣m par am, ␣ere par here, etc.

L'intrigue policière, au dénouement dramatique, reprend alors ses droits. Mais Holmes, malgré toute son expérience, aurait eu plus de difficultés face à un chiffre polyalphabétique. On peut voir cette aventure comme un hommage (involontaire ?) de Conan Doyle à Poe.

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Nous tairons pudiquement, par contre, un exemple récent (dont le titre contient "code"). Pour l'auteur, le nirvana cryptographique semble résider dans une simple transposition... L'ouvrage peut avoir d'autres qualités, mais son aspect cryptographique est d'une faiblesse véritablement navrante.

Notes

[1]  Poe donne : E A O I D B N R S T U Y C F L M W B P Q X Z -- ce qui pouvait être juste à son époque.

[2]  Il tenait une rubrique cryptographique dans Alexander's Weekly Messenger, où il a fait l'admiration des lecteurs en déchiffrant toujours brillamment les cryptogrammes qui lui étaient soumis.

[3]  [Note Une formulation si semblable à celle de Legrand, qu'on peut se demander si S. Holmes n'a pas lu Poe -- c'était certainement le cas d'A. Conan Doyle]

[4]  ... qu'il évalue ainsi : E T A O I N S H R D L... -- différemment de Legrand, donc.

[5]  Sans cette "découverte", la cryptanalyse de textes aussi courts aurait sans doute été autrement plus ardue.