Jardins d'Éden
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Calculer la
génération suivante est
facile. Quid du problème inverse ?
Existence des jardins d'Éden
On peut se demander si, étant donnée une génération, il est
possible de lui trouver un antécédent, un "parent". Une hypothétique
configuration sans parent est appelée jardin d'Éden [1]. Son existence,
dans le cas d'un automate quelconque, est un problème ardu, nous
allons y revenir.
Mais dans le cas du Jeu de la vie,
un raisonnement combinatoire assez simple permet de conclure.
Détaillons-le.
- Dans un carré 5×5, on construit facilement deux
configurations donnant le même résultat. En effet, une unique
cellule
au centre donne un carré vide -- de même bien sûr qu'un carré
initialement vide :
ou → 
- Supposons alors une configuration initiale contenue dans un
carré de côté 5n−2.
La notion de voisinage
utile permet de limiter la
recherche de ses antécédents à un carré de côté 5n
:

Celui-ci se
décompose en n2
carrés de côté 5. Or nous avons trouvé deux
configurations donnant le même résultat dans un tel carré. Donc
le
nombre de résultats possibles est majoré par 225−1
= 33 554 431. Pour l'ensemble du grand carré de côté 5n,
cela fait donc (225−1)n² résultats
différents au maximum pour la génération suivante.
- Mais le carré de côté 5n−2 contient 2(5n−2)²
configurations possibles.
- Or pour n assez grand, (225−1)n² < 2(5n−2)² [2]. Il y a donc plus de
résultats
possibles que de parents disponibles ; il doit donc exister des
configurations sans parents [3].
Mais
la construction explicite d'un jardin d'Éden est très délicate en
raison du grand nombre de vérifications qu'elle exige. Le premier
exemple connu a été construit en 1971 par R. Banks, il comporte 226
cellules et s'inscrit dans un rectangle 9×33 :

Le plus petit actuellement connu a été découvert par N. Beluchenko
en
novembre 2009. Il comporte seulement 59 cellules dans un carré 11×11
:

On se rapproche là du minimum absolu réalisable. On sait en effet,
grâce à des tests systématiques, que
- toute configuration contenue dans une "bande" de largeur <5
possède un parent ;
- de même que toute configuration incluse dans un rectangle 6×5.
Notons une question toujours ouverte : l'existence d'une
configuration
dotée d'un "père" mais sans "grand-père". On remarquera que ce n'est
pas une conséquence triviale de la présence des jardins d'Éden. Il
ne
suffit pas de considérer la génération suivante d'un jardin d'Éden.
Car
en effet, elle pourrait fort bien être issue d'un autre parent, qui
ne
serait pas lui-même un jardin d'Éden...

Inversibilité d'un automate
cellulaire
Pour un automate cellulaire donné, un éventuel inverse serait un
automate faisant passer d'une génération à la précédente. La
question
de l'existence
d'un tel inverse est celle de la bijectivité de l'application qui
fait
passer d'une génération à la suivante. Elle pose deux conditions
évidentes :
- deux configurations distinctes doivent donner des générations
filles distinctes (l'automate étudié doit être injectif)
;
- il ne doit pas exister de jardin d'Éden, de configuration sans
antécédent (l'automate doit être surjectif).
Deux conditions qui ne sont assurément pas vérifiées par le Jeu
de la vie.
On dispose des résultats suivants :
- le théorème de Moore-Myhill [4]
énonce que pour un automate donné, un
jardin d'Éden existe (non surjectivité) si et seulement si deux
configurations donnent le même résultat (non injectivité) [5].
- des résultats dus à Jarkko Kari (1992) établissent que le
problème général de l'inversion d'un automate est indécidable [6].
La question de l'inversion des automates est donc un problème
intrinsèquement difficile. Ceci laisse penser qu'un automate non
inversible pourrait être appliqué à des questions de cryptage, comme
"fonction à sens unique", remplaçant ainsi les fonctions
arithmétiques
habituellement utilisées dans les algorithmes type RSA. Des
expériences
ont déjà été menées dans ce sens [7].

Notes
[1] Cette
terminologie date pratiquement de l'invention des automates
cellulaires
: elle est donc antérieure de 20 ans à la naissance du Jeu
de la vie.
[2] Cette
inéquation est assez facile à résoudre, même avec une simple
calculette, et donne n ≥ n0 = 465 163 192.
[3] de
moins de (5n0−2)2 = 5 409 419 870 487 457 764
cellules ! ...
[4] datant
du début des années 60,
donc lui aussi bien antérieur au Jeu
de la vie
[5]
Remarquons
que ce n'est pas une
conséquence triviale de l'équivalence bien connue
entre injectivité et surjectivité pour une application d'un ensemble
fini dans lui-même. En effet, l'ensemble des configurations possible
d'un automate cellulaire est en général infini.
[6] Il
suffit qu'il utilise le voisinage standard de 8 cellules.
[7]
programme AUTOGEN, P. Mathieu (LIFL)

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