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Les machines à différences de Charles Babbage

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1. historique

Une page d'une ampleur inhabituelle pour rendre justice au génie de Charles Babbage (1791?-1871). 

Charles Babbage

Les détails sur sa naissance (et en particulier sa date) sont en partie inconnus. On sait que son père Benjamin Babbage, riche banquier londonien, n'eut aucun mal à lui assurer une éducation de haut niveau dans les meilleures écoles privées. Il ne profita pas autant qu'il l'aurait pu de la fortune paternelle, car en 1814 il se maria sans autorisation de son père. Il disposait néanmoins d'une richesse personnelle suffisante pour mener une existence d'autodidacte éclairé, s'attaquant aux questions qui excitaient sa curiosité et son imagination. Ses contributions scientifiques sont multiples et éclectiques : citons pêle-mêle l'étude des climats du passé grâce aux stries de croissance des arbres, les premières études statistiques de mortalité qui font encore référence aujourd'hui et la cryptanalyse du chiffrement polyalphabétique de Vigenère demeuré inviolable depuis deux siècles. Sa carrière scientifique trouva sa véritable voie lors de sa rencontre avec l'astronome anglais John Herschel en 1812. Les deux hommes examinaient des éphémérides maritimes permettant de calculer la position des navires. Ils y trouvèrent, à leur grand désarroi, plus de 1000 erreurs ! Pour la plupart de nature typographique, elle portaient la responsabilité de plusieurs naufrages.

Babbage entreprit alors la mécanisation complète de la production de ces tables, depuis le calcul à l'impression. Il construisit une petite machine à différences de 1819 à 1822. Le nom ne signifie pas que la machines était spécialisée dans les soustractions, mais qu'elle calculait les valeurs des polynômes par la méthode des différences successives. Ce petit prototype fonctionna bien. Aussi Babbage se lança-t-il dans conception de la machine à différences n°1 , pour laquelle il obtint une subvention plus que confortable du gouvernement anglais. En 1823, le plan prévoyait 25 000 pièces mais la réalisation se heurtait à des difficultés techniques insolubles. Babbage délaissa alors le projet en cours pour la machine à différences n°2 , à la fois plus simple et plus perfectionnée. Simultanément le gouvernement anglais effrayé par les sommes déjà engagées se retirait en coupant les vivres à Babbage. Celui-ci en conçut de l'amertume, car la conception de l'engin était achevée. Mais il avait déjà en tête un projet plus ambitieux encore : la machine analytique, qui disposerait d'un moulin permettant d'exécuter des instructions stockées au préalable, sur des données elles-même rangées dans un magasin. Babbage jetait ainsi la base d'une architecture, pour des ordinateurs encore à inventer, qui allait être amplement validée par les évolution technologiques ultérieures.

2. technique et réalisation

En 1822, le prototype de Babbage est fonctionnel, selon le principe des roues dentées tournant d'1/10ème de tour. Babbage essaie ensuite à partir de l'année suivante de concrétiser sa machine à différences n°1, énorme appareil de 25 000 pièces, 2,10x2,40x1,20 m et plusieurs tonnes. En 1833, il est contraint de renoncer pour des raisons plus financières que techniques semble-t-il. Mais auparavant, en 1832, l'artisan Clement avait réalisé pour lui un sous-ensemble de ladite machine, constitué de 2000 pièces. 

machine à différence no. 1 (partielle)

Le fonctionnement fut parfait. Cet engin était le premier à réaliser automatiquement un calcul (sans intervention de l'utilisateur, hormis pour l'initialisation).

Jusqu'à 1849, Babbage se concentre sur la machine analytique. Il la conçoit programmable par cartes perforées, comme les métiers à tisser de Jacquard. Elle doit pouvoir effectuer toute séquence de calculs élémentaires (+, -, x, /), sur des nombres de 100 chiffres, définie à l'avance, et fournir ses résultats également à l'aide de cartes. Elle ne sera jamais construite, en dépit des efforts de son concepteur.

Mais Babbage, échaudé par son premier déboire, ne tente pas de réaliser directement la machine analytique.

Comme tremplin vers celle-ci, il dessine la machine à différences n°2. Une manivelle attaque une pile de 14 paires de cames responsables du déroulement du cycle opératoire. La représentation des nombres est dévolue à 8 colonnes de 31 roues (10 de mieux que dans la machine n°1) portant les chiffres, les unités étant en bas.

Pour introduire les données initiales, les colonnes peuvent être débloquées et il suffit de faire tourner manuellement les roues.

Au-dessous de cet ensemble, un jeu de crémaillères et de leviers font monter, descendre ou tourner les colonnes de chiffres selon l'opération à réaliser. Le raffinement du système dépasse la simple mécanique pour atteindre le niveau algorithmique. Lors de la première moitié du cycle, les colonnes impaires sont ajoutées aux colonnes paires et vice-versa pendant la seconde moitié. Ce principe dit en pipe-line accélère notablement le calcul ; il est encore appliqué aujourd'hui dans la conception des processeurs. La dernière colonne est couplée à un dispositif d'impression des résultats. Chaque tour de manivelle effectue un cycle et prépare le suivant ; Babbage avait prévu à terme de remplacer celle-ci par une motorisation à base de machine à vapeur. 

En 1985, A. Broomley et D. Swade, du musée des sciences de Londres, forment le projet de réaliser une réplique de la machine à différence n°1 à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Babbage (1991). Ils se penchent sur les plans, 20 dessins et quelques calques, qui sont bien conservés. C'est l'une des raisons de leur choix, l'autre étant la (relative) moindre complexité de la machine n°2 par rapport à son aînée. En étudiant les dessins de Babbage, ils relèvent quelques "bogues mécaniques". Babbage a omis de re-verrouiller les colonnes de chiffres après leur déblocage pour introduction des données. En outre, le système de rotation du mécanisme de report des retenues fonctionne dans le mauvais sens. Ces erreurs sont si grossières en regard de la finesse générale de la conception que Broomley et Swade se demandent si elles ne sont pas volontaires (pour lutter contre l'espionnage...). Les deux hommes s'astreignent à utiliser les techniques et matériaux (bronze, fer et acier) disponibles à l'époque -- si ce n'est que certaines pièces seront soudées plutôt que forgées. Ils s'interdisent également de dépasser la précision d'usinage disponible alors (5/100 mm), ce qui leur permettra de confirmer le bien-fondé des tolérances demandées par Babbage.

En 1989, un modèle réduit est construit. 

modèle réduit

N'opérant que sur deux nombres, il permet de contrôler la logique d'ensemble des systèmes et notamment le report des retenues, qui sur l'appareil complet est confié à 210 leviers en bronze tels que celui-ci.

levier

Après quelques péripéties industrielles et financières, la construction de la machine commence, en public. Le mécanisme à manivelle s'est vu affecter un rapport de démultiplication de 4 afin de faciliter la manœuvre (mais au détriment de la vitesse de calcul). 

la réplique en action

Lors d'une vérification préliminaire, il se bloque ! Des test fébriles sont conduits pour en déterminer la raison. Puis finalement, le 29 novembre 1991, à quelques jours de la date fatidique, l'engin effectue victorieusement son premier calcul. Il construit la table des puissances septièmes des nombres de 1 à 100. La machine, même démunie de son "imprimante", pèse 3 tonnes et aura coûté 2,5 MF. Sa réalisation aura démontré la justesse de l'ensemble des idées de son concepteur. Elle aura prouvé qu'il était concevable de construire un tel mécanisme dès 1840. Elle aura enfin mis en évidence des raffinements techniques qui n'apparaissaient pas de prime abord sur ses plans, mais qui avaient bel et bien été envisagés, sans aucun support concret, par son génial inventeur.


D'après un article de D. Swayde publié dans Pour la Science n° 186, avril 1993, pp. 78-84.